Les phoques de Terre Adélie
Rappel : L'île des Pétrels, sur laquelle est bâtie la base Dumont d'Urville, fait partie de l'archipel de Pointe Géologie. 

Si l’on considère les cinq espèces de pinnipèdes antarctiques, vous en avez déjà vu 3 en photo, cette année, autour de l’archipel de Pointe Géologie : le phoque de Weddell, le phoque crabier et enfin le léopard de mer pour ceux qui ont eu la chance de voir se pointer le bout de son nez hors de l’eau, à moins de 10 m de moi ! je m’en souviendrai. (Gilles)

Vous trouverez ici quelques informations qui, loin d’être exhaustives, permettent cependant d’avoir une vue globale de la biologie des espèces observées fréquemment en Terre Adélie. Taxonomie, description, habitat, répartition, alimentation, reproduction, longévité et spécificités à l’archipel sont abordés.

 

Auteurs de ce document : J.-B. Strobel, G. Bouteloup, S. Blanc (Centre d'Études Biologiques de Chizé, 79)

Les deux autres espèces n’ont pas été traitées car elles sont plus occasionnelles à DDU. La première est l’éléphant de mer austral (Mirouga leonina) ; c’est un visiteur estival non fréquent mais régulier, que certains d’entre nous ont pu  voir en février en bas du labo biomar. Les trois populations de cette espèce se situent : la première en Géorgie du Sud, Falklands, Amérique du Sud, Orcades du Sud et Shetland du Sud ; la seconde à Kerguelen, Crozet et Heard ; la dernière aux îles Macquarie et aux îles subantarctiques de Nouvelles Zélande. Les visiteurs à DDU sont généralement des jeunes mâles erratiques. La seconde espèce est le phoque de Ross (Ommatophoca rossi), il ne visite pas l’archipel, exceptionnellement rencontré à plusieurs kilomètres de la base en 1977… C’est une espèce très discrète et mal connue. Sa répartition est circumantarctique avec de rares zones d’abondance (mer du Roi Haakon VII, Cap Adare)… peu de chances de le rencontrer ici. 

Le Phoque de Weddell

Leptonychotes weddelli (Lesson, 1826)

Taxonomie : James Weddell rapporta en Angleterre le dessin et des squelettes de pinnipèdes capturés dans la Mer de Weddell au cours d’une campagne britannique de chasse aux phoques de 1822 à 1824. Il permit ainsi la description d’un phoque inconnu jusque là, nommé en hommage au navigateur : le phoque de Weddell. Son nom de genre (Leptonychotes) est formé du grec "leptos" : « petit », « élancé » ; "onux" : « griffe » et du suffixe "otes" signifiant « possession », le tout en référence à la petite taille des griffes.

Description/Identification : Le phoque de Weddell peut mesurer jusqu’à 3,20 m et peser jusqu’à 420 kg. Les mensurations moyennes ne dépassent cependant pas 2,60 m pour 300/400 kg. Les femelles sont généralement plus grosses que les mâles. Le corps est massif, en forme de baril. La tête est relativement petite par rapport au corps ; les coins de la bouche sont tournés vers le haut. Les palmes antérieures sont petites par rapport à la longueur du corps.

Habitat : Le phoque de Weddell est généralement un animal côtier. Il passe une partie de ses journées dans l’eau pour chercher sa nourriture et se repose sur la banquise côtière, isolé dans le pack ou à terre.

Population/Répartition : La population mondiale de ce phoque, dont l’effectif est estimé (très difficilement) selon les auteurs entre 250 000 et 750 000 individus, se répartit tout au long des côtes du continent antarctique jusque dans la péninsule et aux îles Shetlands du Sud. Cependant, des individus isolés ont pu être observés au Chili, en Argentine, en Uruguay, en Nouvelle Zélande et en Australie méridionale.

Alimentation : Les poissons représentent 60% du régime alimentaire du phoque de Weddell. Il se nourrit de poissons de fond parfois de grande taille (On a observé un individu qui avait capturé un poisson de la famille des Notothéniidés qui mesurait 1,50 m de long ! Il fut consommé en 3 heures. La nuit suivante, il captura un autre poisson d’une taille identique qu’il ne consomma qu’à moitié. On fait état d’un autre individu qui ingurgita environ 88 kg de poisson par jour au mois de décembre). Il se nourrit aussi de céphalopodes (calmars…) et de crustacés (grandes crevettes, krill…). Pour se nourrir, l’animal chasse et plonge entre 200 et 600 m de profondeur, il peut prolonger son temps d’immersion jusqu’à plus d’une heure (record enregistré : 80 minutes !).

Reproduction : Le phoque de Weddell est une espèce polygame et le ratio est en moyenne de 10 femelles pour un mâle (ce sex-ratio dépend de l’état de la glace sur le site de reproduction). La femelle commence à s’accoupler entre 3 et 6 ans, le mâle est mature vers 3 ans. Les naissances ont lieu entre début octobre et mi-novembre (plus la latitude est élevée, plus les naissances ont lieu tard car l’hiver froid est alors plus long et la banquise plus épaisse). La durée de lactation est de 6-7 semaines. Le nouveau-né pèse environ 25 kg pour 1,20 m. Jusqu’au sevrage, il va gagner 100 kg (la mère en perdra 150). Au sevrage, la femelle retourne à l’eau et s’y reproduit tout de suite (début décembre). L’accouplement a lieu dans l’eau. La gestation active ne commence cependant qu’une quarantaine de jours après (implantation différée du blastocyste) et va durer 9 mois.

Longévité : L’âge maximum enregistré chez cette espèce est de 18 ans, mais des chercheurs pensent que la longévité pourrait atteindre au moins 25 ans. Les seuls prédateurs du phoque de Weddell sont les léopards de mer et surtout les orques. Actuellement, le phoque de Weddell ne subit aucune exploitation humaine.

Le phoque de Weddell à Pointe Géologie : Le phoque de Weddell peut être observé toute l’année à DDU, la régularité de sa présence pendant l’hiver dépendant cependant de l’état de la glace. La population totale de l’archipel en été est estimée à 340-350 phoques. Aux environs du 15 septembre, les mâles prennent possession des différents territoires exploitables : trous d’eau, fissures, portions de rivières. Ils entretiennent des trous d’accès grâce à leurs canines et incisives en sciant et rongeant la glace et défendent âprement leur territoire des autres mâles par des intimidations et des combats quasi exclusivement sous-marins. Chaque mâle réserve l’accès à son territoire à 4 ou 5 femelles (le sex-ratio des harems de Terre adélie est plus faible que la moyenne car il y a beaucoup de trous d’eau, permettant la constitution de nombreux territoires, les femelles pouvant donc se répartir entre les nombreux mâles territoriaux). Le mâle se reproduira avec les femelles qui mettront bas dans son territoire. Les territoires se concentrent principalement autour des grandes îles de l’archipel et dans le glacier entre Curie et Débarquement. Les mâles n’ayant pu conquérir de territoire se réfugient en groupes de mâles dits périphériques autour des zones de reproduction. Fin septembre, les premières femelles sortent de l’eau et mettent bas généralement dans les 48 heures. Le pic des naissances a lieu vers le 10-15 octobre. Selon les années, ce sont entre 80 et 150 jeunes qui naissent entre Hélène et le Rocher du Débarquement.

 

Chez le Weddell, les incisives supérieures sont dressées à l'horizontal ce qui lui permet de scier la glace et ainsi d'entretenir ou d'élargir un trou pour respirer ou se hisser sur la banquise.

Les incisives du Crabier sont de petites taille et n'ont pas cette fonction, mais les dents latérales ont une forme complexe constituant un véritable tamis pour une nourriture filtrée (régime alimentaire composé à 90% de krill).

Le Léopard de mer 

Hydrurga leptonyx (Blainville, 1820)

Taxonomie : La première description de l’espèce a été faite par Blainville en 1820 dans un document intitulé « Sea lion from the Falkland Islands ». Son nom de genre a été proposé par T.S.Palmer en 1899. "Hydrurga" signifie « travailleur de l’eau ».

Description/Identification : Le léopard de mer peut mesurer jusqu’à 3,70 m et peser jusqu’à 500 kg. Les mensurations moyennes ne dépassent cependant pas 3 m pour 300 kg. Les femelles sont généralement plus grosses que les mâles. Le léopard de mer possède une morphologie très caractéristique : il est élancé, mince avec un profil bossu dû à son très grand thorax. La tête très puissante est d’apparence reptilienne. Les coins de la bouche sont horizontaux. Cette dernière est grande, avec un long museau et une nette constriction au niveau du cou. Les membres antérieurs sont grands par rapport au reste du corps. Dans l’eau, le léopard de mer tient souvent la tête hors de l’eau, son dos reste alors visible alors que son cou est immergé.

Habitat : Le léopard de mer se repose la plupart du temps sur les glaces du continent antarctique ou sur les plaques dérivantes. On peut aussi le trouver sur les plages du continent antarctique et des îles subantarctiques. C’est un phoque pélagique qui n’hésite pas à se déplacer sur de longues distances.

Population/Répartition : La population mondiale de ce phoque, dont l’effectif est estimé (très difficilement) selon les auteurs entre 250 000 et 800 000 individus, se répartit depuis les eaux littorales des îles subantarctiques jusqu’à la limite du pack. Les animaux adultes vivent plutôt sur le pack antarctique et les jeunes sur les îles subantarctiques (rejoignant les côtes antarctiques entre 3 et 9 ans).

Alimentation : Le léopard de mer se nourrit d’une grande variété de proies (variables selon son âge, sa répartition, la période de l’année…). Il mange du krill (jusqu’à 50% de son régime alimentaire), des oiseaux marins et des phoques (pour 34% de son régime) et enfin poissons et calmars (15%). Les phoques qui subissent le plus sa prédation sont les phoques crabiers mais le phoque de Weddell, l’éléphant de mer et l’otarie antarctique sont aussi attaqués. Au moment de l’émancipation des jeunes manchots (surtout Adélie), le léopard de mer guette au pied des rochers d’où les oiseaux se jettent. Un léopard de mer peut avaler jusqu’à 35 manchots Adélie par jour !

Reproduction : Le léopard de mer atteint la maturité sexuelle à 3 ans chez le mâle et entre 2 et 6 ans pour la femelle. La gestation active est de 9-10 mois après une implantation de l’embryon différée de un mois et demi. Les naissances ont lieu entre septembre et janvier avec un maximum en novembre/décembre. Les mises bas ont lieu sur le pack. Les femelles et les jeunes restent isolés sur les glaces flottantes tandis que les mâles sont à cette époque constamment dans l’eau. La durée de lactation est de 30 jours, la copulation a lieu une cinquantaine de jours après la mise bas.

Longévité : L’âge maximum enregistré chez cette espèce est de 26 ans. Les seuls prédateurs du léopard de mer sont les orques. Actuellement, le phoque léopard ne subit aucune exploitation humaine (exploité au XIXème siècle par les phoquiers américains sur les îles Heard, Kerguelen et Macquarie).

Le léopard de mer à Pointe Géologie : Le léopard de mer n’est qu’un visiteur de l’archipel Pointe Géologie. Ses visites sont surtout fréquentes l’été et au moment de la débâcle. Il vient régulièrement guetter les départs des manchots Adélie en été et empereurs au moment de la débâcle. Plus d’une dizaine d’observations est répertoriée chaque année dans l’archipel, principalement autour de l'île des Pétrels.

Le Phoque crabier 

Lobodon carcinophagus (Hombron et Jacquinot, 1842)

Taxonomie : J.B. Hombron et H. Jacquinot publièrent en 1842 sous le nom de "Phoca carcinophaga" un dessin de phoque d’après la peau et le crâne d’un individu collecté entre les îles Sandwich du Sud et Orcades du sud par les corvettes "l’Astrolabe" et "la Zélée" entre 1837 et 1840 sous le commandement de Dumont d’Urville. En 1853, H. Jacquinot et J. Pucheran publiaient une description du phoque crabier désigné sous le nom de "Lobodon carcinophagus", car en 1844 Gray avait créé le genre "Lobodon". Ce nom de genre provient du grec "lobos" : « lobe » et "odus" : « dent » en référence à la morphologie lobée de certaines de ses dents. Son nom spécifique provient également du grec "karkinos" signifiant « crabe » et "phagein" voulant dire « mangeur » car on croyait que ce pinnipède ne se nourrissait que de crabes, ce qui est totalement faux.

Description/Identification : Le phoque crabier peut mesurer jusqu’à 2,60 m et peser jusqu’à 225 kg. Les femelles sont généralement plus grosses que les mâles. Le corps est relativement svelte, élancé et de forme hydrodynamique. La tête arbore un museau allongé, légèrement pointé vers le haut ou en forme de groin, les coins de la bouche sont horizontaux. La fourrure est marron-blanc crémeux uniforme. L’animal est souvent couvert de cicatrices (sur 63% des individus) laissées au stade immature par des tentatives d’attaque de léopard de mer.

Habitat : Le phoque crabier est fortement lié au pack. Il est très souvent hissé sur des glaces de mer à la dérive.

Population/Répartition : Le phoque crabier est le plus abondant des pinnipèdes du monde. On estime sa population entre 25 et 50 millions d’individus, ce qui représente un chiffre supérieur à l’ensemble des autres espèces de phoques. Sa répartition s’étend tout autour du continent antarctique. On le trouve en très grand nombre au cours de l’été austral à l’ouest de la péninsule (Terre de Graham) et dans la partie sud de la Mer de Ross. Il est signalé occasionnellement en Australie méridionale, Nouvelle Zélande, en Tasmanie, en Afrique du Sud et en Amérique du Sud jusqu’à Rio de Janeiro.

Alimentation : A sa découverte, on pensait à tort que le phoque crabier se nourrissait de crabe. Il se nourrit en fait à 90% d’un autre crustacé : le krill. Il mange aussi du poisson, des calmars et autres invertébrés. Il est à signaler que le phoque crabier est une espèce clé dans l’écosystème marin de l’océan austral puisque depuis l’exploitation baleinière en Antarctique, il est devenu le principal consommateur de krill.

Reproduction : Le phoque crabier est une espèce monogame. La femelle commence à s’accoupler à 3 ans, le mâle est mature entre 3 et 6 ans. La mise bas a lieu principalement à la mi-octobre sur la glace dérivante au sein d’un territoire de 50 m de rayon défendu par le mâle. La période de lactation est très courte (4 semaines). L’accouplement a lieu au moment du sevrage.

Longévité : L’âge maximum enregistré chez cette espèce est de 29 ans, mais on pense que la longévité pourrait atteindre au moins 35 ans. Les seuls prédateurs du phoque crabier sont les léopards de mer et les orques. Il a été exploité lors de la campagne de chasse aux phoques des Norvégiens en 1964. Actuellement, le phoque crabier ne subit aucune exploitation humaine.

Le phoque crabier à Pointe Géologie : Le phoque crabier est un visiteur estival de DDU. La fréquence de ses visites est très dépendante de l’état de la glace. On en rencontre peu quand la glace est solide alors que le nombre d’observations peut atteindre la centaine en cas de débâcle précoce. Pendant les comptages d'octobre, plusieurs dizaines d'individus peuvent être observés.

 

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