Rencontre avec un ours polaire à plus de 300 km de la côte

Le mardi 26 mai 1959 le groupe de transport Est, composé de six hommes sous la conduite de Robert Guillard (Tonton), attend près de la " Station Dumont ", à 300 km de la côte, les parachutages du matériel de la station d'hivernage. Le radio, Alexandre Pierson, procède à des vérifications d'antenne quand il est attaqué par un ours blanc. Voici le récit de cette agression qu'il fera à sa famille, trois jours plus tard.

" … J'avais passé l'après-midi à bricoler dans le weasel un appareil pour mesurer le rayonnement de l'antenne, je suis sorti avec l'instrument et j'ai tourné autour du weasel les yeux fixés sur le cadran. Puis je me suis baissé pour déplacer l'antenne (en général je la fixe avec un bambou de balisage). J'étais à 10 mètres du weasel , et à peu près autant de la caravane. En me relevant, j'ai vu l'ours à deux ou trois mètres. J'ai cru un instant que c'était un chien. A vrai dire j'aurais été aussi surpris si j'avais vu une locomotive. Je n'ai pas eu peur. L'ours ne m'a pas paru tellement gros, à quatre pattes, et puis il avait un air assez bonasse, silencieux, la gueule fermée. Je lui ai donné deux ou trois coups de bambou sur le museau (il devait être tout près puisque le bambou mesure deux mètres).

" Là, une coupure. Je me suis retrouvé traîné par le bras dans la neige et je voyais très bien l'ours reculer à quatre pattes. J'essayais de me souvenir de ce qu'il faut faire dans ces cas là, […] Il me semblait qu'il fallait faire le mort, […] J'étais sûr que si je criais " à l'ours " les autres, […] dans la caravane croiraient à une blague. […] (J'ai crié) " au secours " […] le plus de fois possible […] quatre ou cinq fois, et tous croyaient effectivement à une blague […]. Je n'avais pas peur, j'étais sûr que les autres viendraient, mais je croyais que l'ours m'avait traîné loin déjà, et je me demandais s'ils arriveraient avant que l'ours, se jugeant en sécurité, commence à me manger […]. Là j'ai dû être un peu assommé. Je n'ai pas le souvenir d'avoir été mordu à l'épaule, à peine celui d'une morsure à la tête. Je me souviens pourtant d'avoir vu l'ours debout et d'avoir eu peur. […]

" Je n'ai pas entendu les autres crier mais j'ai vu nettement la tarière à neige s'abattre sur le crâne de l'ours. Je me suis relevé. Je voyais les autres avec des barres à mine, l'ours debout, j'ai hésité un moment à prendre aussi une barre à mine puis je suis rentré dans la caravane. Il paraît que je disais " la sale bête, la sale bête " mais je ne m'en souviens pas. […]

" C'est Gaudin qui est sorti le premier. Effectivement, tous pensaient à une mauvaise plaisanterie. Il a été très surpris, a crié […] " venez vite " et s'est précipité avec la tarière à neige. Il a été très courageux, ça devait être assez impressionnant : j'étais roulé en boule, ne bougeais plus, ne criais plus, presque caché par la masse de l'ours qui mesure debout 2,38 m.

" […] les copains sont sortis tout de suite. L'ours avançait toujours et il a fallu plusieurs coups pour qu'il s'en aille […].

" Puis Tonton l'a poursuivi avec le weasel, mais l'ours courait trop vite. Il est revenu et il est resté toute la nuit à une centaine de mètres du camp. Le lendemain, les avions ont droppé un fusil et après une poursuite au weasel et l'ours étant rabattu par les avions, il a été tué sans mal.

" Tonton l'a écorché, je ramènerai la peau. Nègre (le médecin) l'a autopsié. Il avait l'estomac et les boyaux entièrement vides. "